Le 13 décembre dernier, le Conseil d’État a rendu sa décision “au fond” concernant la remise en cause, par des représentants des familles, des décrets régissant l’IEF. Comme en référé suspension, il rejette l’attaque de ces décrets.
Plusieurs mémoires, élaborés avec des avocats spécialistes du Conseil d’État, avaient été déposés par des associations et des familles. Ils comportaient des arguments solides prouvant notamment la discrimination de la condition de diplôme, et l’absurdité du calendrier de dépôt des demandes. Ils n’ont pas suffi. Le Conseil d’État a entériné une nouvelle fois la validité des décrets.
Seule maigre victoire : la possibilité d’examen de demandes hors calendrier par l’administration, à titre gracieux si l’académie le veut bien.
Sans véritable surprise, le Conseil d’État cautionne les visées initiales du Gouvernement, en oubliant l’esprit des lois et l’ensemble du débat parlementaire. Il émet une décision en accord avec les conclusions du rapporteur public, et reprend à son compte le principe de Jean-Michel Blanquer : la liberté d’enseignement n’est aucunement remise en cause par cette loi et ses décrets, même si elle rend l’accès à la modalité d’instruction en famille très compliqué.
Le passage le plus attendu du jugement était sans aucun doute celui concernant l’interprétation de la ” situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif “. Nos avocats ont défendu que l’intention du législateur, confortée par les réserves du Conseil constitutionnel de l’été 2021, consistait à s’assurer que les parents instructeurs demandant l’autorisation dérogatoire à la scolarisation en établissement, respectent les principes républicains de l’instruction obligatoire. Et qu’à ce titre, ils fournissent les garanties attendues de tout enseignement en France : se conformer à une progression continue et régulière adaptée à la situation de leur enfant dans les 5 domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
Le Conseil d’État s’est enfermé dans une vision plus restrictive, empruntée à la dialectique de la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire, et représentée par le rapporteur public pendant le jugement. Le CE a réaffirmé une vision attentatoire à la liberté éducative, et a restreint un peu plus encore le respect du libre choix des parents à décider quel est le mode d’instruction et les formes d’apprentissages qui conviennent le mieux à leur enfant. Une décision aux antipodes des premières réflexions de la conseillère d’État Catherine Bergeal. En décembre 2020, celle-ci s’inquiétait de la disproportion entre le motif avancé pour la “loi séparatisme” et les propositions législatives mises en place par les premières moutures de texte relatives à l’IEF. A contrario de ses réflexions, les décrets validés par le CE viennent renforcer la vision liberticide amorcée un soir d’automne 2020 aux Mureaux.
À une appréhension factuelle de la demande d’autorisation proposée par le Conseil constitutionnel, plus équitable et permettant d’évaluer le choix de l’IEF par l’angle des garanties éducatives, pédagogiques et légales données par la parents pour respecter le meilleur intérêt de leur enfant, les juges du Conseil d’État substituent une vision de l’IEF limitée à quelques cas mal appréhendés par l’école de la République. Une vision qui s’est exprimée en ces termes précis dès le préambule de leur avis du 13 décembre, alors que la question d’une nouvelle évaluation des termes de la loi ne leur était pourtant pas posée dans la remise en cause des décrets par les associations et les familles. Une vision qui ne peut qu’influencer la compréhension générale des décrets par les tribunaux administratifs et réintroduit, à la source des textes réglementaires, l’arbitraire de la définition du caractère dérogatoire de l’instruction en famille. Un arbitraire que le Conseil constitutionnel avait réussi à clarifier par le biais de ses réserves d’interprétation de la loi.
De plus, aux critères stables, quantifiables et qualifiables du CC, les décrets validés par le Conseil d’État substituent des critères flous et non précisément définis (malgré les promesses de la rapporteure Brugnera, pendant les débats parlementaires, que les décrets seraient exemplaires en matière de définition des motifs de demande d’autorisation pour situation propre).
Ainsi, les décrets validés permettent que l’évaluation des projets pédagogiques présentés par les parents puissent être assortie de la recherche “d’avantages et d’inconvénients” à l’instruction dans “la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt.”
Cette possibilité d’interprétation, maintenue dans le flou, permet déjà aujourd’hui à des recteurs, peu scrupuleux de l’esprit des débats parlementaires, comme on l’a vu en cette rentrée 2022, de refuser massivement des demandes d’autorisation entièrement conformes en matière de pièces et de projets éducatifs, au motif que cela ne convient pas à l’appréciation d’un comité de censeurs du Ministère. Le Conseil d’État permet que cet arbitraire devienne une norme opérationnelle pour l’avenir.
Ainsi périt, avec l’aide précieuse du Conseil d’État, la liberté d’enseignement. Ainsi se crée, à l’abri des débats en hémicycle, un pouvoir de police pédagogique, remis sans autorité de contrôle indépendante au ministère de l’Éducation.
Dans le même élan liberticide, en plus de l’avis sur la légalité des décrets, le Conseil d’État avait à juger en cassation de décisions du tribunal administratif où le juge, en respectant la réserve du CC, s’était appuyé uniquement sur la qualité du projet pédagogique des familles requérantes, pour trancher en faveur de l’autorisation d’IEF.
Venant tout juste d’entériner les décrets, le Conseil d’État a cassé le jugement dans plusieurs affaires gagnées par les familles au tribunal administratif. Ainsi, la décision unilatérale du directeur académique a plus de poids que la qualité pédagogique du dossier des familles, que la liberté d’opinion de l’enfant, que la liberté de choix d’enseignement du parent, et que les décisions de bons sens des juges du tribunal administratif.
Le Conseil d’État précise, dans sa décision en cassation, que la notion de “situation propre à l’enfant motivant un projet éducatif” constitue un critère à part entière à exposer “de manière étayée” et dont la pertinence peut être analysée par l’autorité administrative dans l’instruction des demandes d’autorisation.
Le tout sans le moindre sans garde-fou ni éléments objectifs d’analyse qui puissent être partagés avec les familles ou servir de référentiel de sélection. Mieux encore, le Ministère conserve, à l’occasion de la validation des décrets, le pouvoir d’être la seule autorité de référence dans l’évaluation des demandes d’autorisation puis, comble de l’ironie pour les principes de la République, celui de rester seul juge à la table de l’évaluation en cas de procédure de recours entamée par les familles (le RAPO). L’Éducation nationale définit non seulement quels sont les critères d’autorisation des dossiers pour situation propre, mais reste aussi seule juge en cas de contestation de la décision par les familles.
Le Conseil d’État valide de facto une série d’outils réglementaires en opposition avec l’esprit de la loi et les réserves constitutionnelles. Il valide un cadre réglementaire qui peut permettre à un Directeur académique des services de l’Éducation nationale, peu scrupuleux de la liberté d’opinion, d’enseignement, de choix du parent dans le meilleur intérêt de son enfant, de tenter de concrétiser au niveau départemental la volonté initiale du président Macron d’interdire l’IEF. Ceci, sans véritable possibilité pour le parent de s’y opposer autrement qu’en tentant de coûteuses procédures judiciaires aux résultats aléatoires.
Nous continuons d’œuvrer pour l’application stricte des critères légaux définis par les parlementaires. Et nous continuerons par conséquent, collectivement, à pointer les décisions arbitraires, et à mettre en lumière les dossiers rejetés injustement, au fil des différentes procédures de recours offertes aux parents. Surtout quand il s’agit de dossiers qui assurent pourtant que les enfants concernés disposaient, par l’IEF, des meilleures chances de s’insérer dans la société française et le monde. FÉLICIA s’inscrit dans un vaste mouvement d’information et de conseil aux familles pour tenter de limiter au maximum les décisions arbitraires rendues possibles par la décision du Conseil d’État.
Nous reviendrons vers vous pour faire en sorte que chaque parent requérant une autorisation d’instruction en famille dispose de la boîte à outils utile à ce qu’il soit en mesure de remettre à l’administration un projet éducatif motivé par la situation propre de leur enfant (“chaque enfant en a une” expliquait Anne Brugnera à la députée Genevard, pendant les débats parlementaires), en plus de respecter les exigences formelles définies par le Conseil constitutionnel.
Nous vous encourageons à contacter les députés et sénateurs de votre région pour les informer de la situation réglementaire, leur expliquer le déni de leur rôle de législateur dans ce dossier, ainsi que l’invisibilisation progressive de l’autorité parentale sur l’éducation des enfants dans la République. Pour leur demander de faire procéder, aussi, à une évaluation des résultats de la mise en place de “la loi confortant les principes de la République”. Ils doivent être nos interlocuteurs de choix pour proposer un changement de loi – seule façon de mettre un terme à cette spirale de l’arbitraire administratif et à cette perte de liberté éducative, depuis août 2021.
Annexe :
Liste des éléments contestés par les associations dans les décrets d’application de la loi confortant les principes de la république :
1) Composition de la commission d’évaluation des recours de refus d’autorisation
2) Modalités calendaires de demande et de délivrance de l’autorisation d’IEF
3) Nature des pièces justificatives d’identité et de domicile pour la demande d’autorisation
4) Modalités de démonstration de l’existence d’une maladie ou d’un handicap
5) Modalités de démonstration de l’existence d’une pratique musicale ou d’un sport intensif
6) Pièces probantes à fournir pour démontrer l’existence d’un éloignement de l’établissement scolaire ou d’une itinérance
7) Modalités de démonstration de l’existence d’une situation propre motivant le projet éducatif (entrave à la liberté pédagogique, nécessité du baccalauréat, langue française)
8) Obligation de fournir un avis du directeur de l’établissement en cas de demande d’autorisation pour fait de harcèlement
9) Délais pour alerter la direction académique en cas de déménagement
10) Délais de quinze jours pour contester un refus initial d’autorisation
11) Distinction manquante entre les élèves inscrits en CPC et les enfants instruits en famille
12) Consultation insuffisante du Conseil supérieur de l’éducation